Ouverture du 1er Festival de tragédies aux Arènes de Cimiez : Phèdre, dans la mise en scène de Muriel Mayette-Holtz
Mercredi 19 Juin 2024
Publié sur le site : Resonances Lyriques Org
©Meghann Stanley
Que souhaiter de mieux, que rêver de plus qu’une onde de pluie pour lancer la première d’un festival de tragédies ? Que rêver de plus, que souhaiter de mieux qu’une arène pour peindre la passion univoque et frénétique d’une jeune reine ?
Le long d’un tapis rouge déroulant un flot de sang royal sur la pierre tombale de cœurs mythologiques éternellement meurtris, Muriel Mayette-Holtz, directrice du Théâtre National de Nice et comédienne émérite, déploie ses dons exceptionnels de metteuse en scène. Porteuse d’un projet inédit, celui de mettre au monde un festival estival de tragédies, celle qui fût la première femme à diriger la Comédie-Française convoque “la poésie du cœur”dans un lieu unique : celui d’un amphithéâtre romain du 1er siècle ayant, selon les dernières sources, probablement accueilli des jeux destinés à distraire la population de la cité de Cemenelum !
Du chien, Muriel Mayette-Holtz en a pour parler aux âmes entre les murs verticaux des vestiges d’un temps, le temps d’une mise en bouche, le temps d’une mise en couche des mots qui “célèbrent l’humanité”.
© Meghann Stanley
Ainsi naît Phèdre, entre dix gouttes d’eau et un fond de musique presque imperceptible. Défi du temps qui donne le “Do” sans se retourner et laisse nos âmes terrestres s’adonner au baptême des larmes cosmiques. Défi des temps qui tonnent et percent en un éclair les ans de trois siècles -Ier, XVIIe et XXIème. Défi de la langue avec la césure franche de vers entiers. Défi du répertoire avec la suppression de personnages et l’octroi à un conteur tantôt slameur, tantôt acteur, du soin de narrer les péripéties dramatiques de cette épopée. Défi de la mise en scène, où Hippolyte, fidèle à son prénom, chevauche une altière monture ! Défi du “genre” de notre époque, avec une Œnone masculine dans un rôle féminin. Défi interprétatif d’une toute jeune Phèdre.
© Meghann Stanley
Pour relever tous ces défis, la directrice du Centre Dramatique de Nice Côte d’Azur et de la Villa Ephrussi de Rothschild maîtrise parfaitement son casting. Dans un silence insondable, Eve Pereur, par sa voix de cristal, sa sensibilité foudroyante, sa fraîche sincérité, gagne l’émotion d’un public captivé par les monologues de Phèdre. Sous les feux de la lune, elle transgresse le pouvoir, qui l’étrangle. D’un geste -elle s’arrache à sa robe-, et d’un pas -s’affranchissant de la ligne monarchique du tapis rouge- elle se hasarde dans l’arène nocturne de ses sentiments effrénés. Hippolyte -Augustin Bouchacourt- incarne à merveille la pureté innocente et le courage d’un prince amoureux, loyal et fidèle. Nicolas Maury colore la suivante de Phèdre -Œnone- éprise de sa maîtresse, d’une touche personnelle et pudique qui apporte à ce rôle une sincère et respectueuse réflexion sur la répartition des sexes. Nicolas Bouchaud évoque en Thésée la grandeur de la noblesse dans ses angles fragiles, par un jeu élégant, épuré et puissant. Enfin, Jacky Ido, “Prince du slam”, conteur et interprète de Théramène, personnifie le lien poétique de ces lieux : “J’enracine mes vers” dans ceux de Jean Racine. Il symbolise le trait d’union des espaces et des temps, des comédiens et des spectateurs lorsque son visage chaleureux et son œil ému s’approchent d’eux pour leur susurrer le secret sacré de l’humanité. Talentueux poète qui égraine les alexandrins avec des notes de musique, il nous touche par le sourire de sa douceur, la brillance de ses vers, la vérité de son jeu.
Phèdre aux Arènes de Cimiez… une production d’un grand professionnalisme pour ce chef d’œuvre de la nuit des temps, sous des astres qui pleurent aux rimes des acteurs. Louanges également aux techniciens du son !
“Ça commence à peine, et c’est déjà fini“, ça finit à peine et ça commence encore… Jusqu’au 22 juin et, pour le festival entier de tragédies 1, jusqu’au 5 juillet. Parce que l’âme se nourrit de rires et de larmes. Pour vibrer fort, sentir intensément, vivre puissamment !
1 Théâtre National de Nice – Festival de tragédies
Nathalie AUDIN
19 juin 2024
Mise en scène : Muriel Nayettte-Holtz
Lumières : François Thouret
Costumes : Rudy Sabounghi, assisté de : Quentin Gargano-Dumas
Perruque et maquillage : Fabien Giambona
Musique : Cyril Giroux
Création Slam : Jacky Ido
Production : Théâtre National de Nice
CDN Nice Côte d’Azur
Distribution :
Phèdre : Ève Pereur
Théramène : Jacky Ido
Œnone : Nicolas Maury
Hyppolite : Augustin Bouchacourt
Thésèe : Nicolas Bouchaud
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